François Cauconnier

(1654-1720)

Jardinier à Montreuil au temps du Roi Soleil

 

   Dans la foulée de ma thèse de doctorat sur la vie rurale à l’ombre de Paris, rééditée en 2017 aux Éditions Les Indes savantes sous le titre Montreuil sous le règne de Louis XIV, voici la brève présentation d’un jardinier d’ornementation des parcs des châteaux des nantis parisiens retirés au vert, à Montreuil-sur-le-Boys-de-Vincennes, dès les années qui ont suivi les horreurs de la guerre civile, pendant la Fronde (1648-1653).

 

   Le jardinier arboriculteur François Cauconnier, né en 1654 à Montreuil, est un bon exemple de ces paysans franciliens qui adoptent un mode de vie très original dans les campagnes du XVIIe siècle. En rupture avec la tradition, son univers matériel est connu grâce à l’inventaire après décès de Nicolle Lardin, sa femme, dressé en 1696. On sait aussi que ce membre de la communauté des habitants de Montreuil en 1699, par ailleurs procureur syndic, c’est-à-dire l’équivalent du maire, est un personnage très influent qui s’est enrichi dans le commerce du vin et des fruits. Fils d’un laboureur, il a été porté sur les fonts baptismaux de l’église de Montreuil par l’organiste de la paroisse voisine Saint-Leu-Saint-Gilles de Bagnolet. Par la suite, son parrain lui a transmis ses connaissances musicales et François Cauconnier « touche les orgues » de l'église Saint-Pierre-Saint-Paul de Montreuil moyennant une rente annuelle non négligeable de 50 livres, le prix de deux bonnes vaches laitières, acquittée par les marguilliers du village. Domicilié avec sa femme et son fils unique dans une maison de la rue Marchande, voie la plus belle et la plus proche de Paris, sa demeure comporte trois pièces et plusieurs dépendances.

   L'utilisation de chacune des pièces est spécialisée, ce qui permet l’existence d’une forme d’intimité rare dans les campagnes du temps. À l’occasion, le couple Cauconnier parade au village. L'armoire de leur chambre renferme en effet des ensembles vestimentaires particulièrement originaux, tant par la valeur que l'aspect. Ainsi, l’analyse fine de 173 inventaires après décès passés à Montreuil entre 1676 et 1699 permet de savoir que le jardinier était l'un des très rares Montreuillois (avec le marchand boucher Guillaume de Vitry et le tailleur d’habits Denis Richer) à porter une veste, rayée de surcroît, à une époque où, pour les paysans, les rayures évoquaient le Malin. Son chapeau a été estimé 4 livres, équivalent à une semaine de salaire pour un vigneron du cru. François Cauconnier portait au cou une cravate de toile fine, quant à Nicolle Lardin, sa coquette épouse, elle revêtait un « corps » [corsage] de drap rouge et une jupe rouge sur laquelle elle nouait un tablier agrémenté de dentelle blanche. La jeune femme accumulait de nombreuses pièces de menu linge garnies de dentelle. Dans la chambre à coucher, près d’une armoire d’utilisation récente (dans les intérieurs ruraux, les armoires commençaient doucement à détrôner les coffres) trônait « une montre servant de réveille matin et garnye de ses monumens », une magnifique couche à hauts piliers entourée de neufs pans de lit rouges à franges prisée 80 livres.

   Jean, leur fils de huit ans, occupait la seconde chambre. Il dormait dans une couche à bas pilier, meuble d'utilisation peu fréquente au village que l’on retrouve plutôt mentionné à l’époque dans les inventaires patrimoniaux parisiens. L'originalité de la cuisine résidait en l’utilisation d'une chevrette, ustensile qui commençait à concurrencer la crémaillère dans l’âtre des cheminées. Pour les repas, trois chaises paillées étaient disposées autour d'une table ronde en sapin ; ici le mobilier n’avait rien d’original. Cependant, la famille cachait un véritable trésor composé de 800 livres en Louis d'or et en écus blancs (écus d’argent de 3 et de 6 livres), des bijoux (quatre bagues en or, une bague en or garnie d'une turquoise et une croix d'or notamment). L'argenterie recelait 14 fourchettes. Issu d’une famille de laboureurs montreuillois, un tel couple bénéficiait clairement de la proximité des élites parisiennes. Sa réussite sociale hors du commun aura certainement incité d'autres villageois, vignerons et laboureurs, à proposer leurs services aux Grands de ce monde en commençant par exemple à produire les pèches de Montreuil, réputées dans le royaume dès la fin du règne de Louis XIV.

  

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© Hervé Bennezon