Un chanoine de la collégiale Saint-Riquier de Douriez pendant les guerres de Religion

 

Jehan Bennezon

(né vers 1515 – mort après 1574)

 

   En 1574, pendant les guerres de Religion, messire Jehan Bennezon, né au cours des années 1510 dans une famille de laboureurs du bourg de Moreuil, au sud d’Amiens, est l’un des sept chanoines de la collégiale Saint-Riquier de Douriez, sur la rive septentrionale de l’Authie, aux confins de la Picardie et de l’Artois, dans les Pays-Bas espagnols.

 

   La collégiale avait été fondée plusieurs décennies auparavant, en 1506, par sire François de Créquy (14..-1518), sénéchal du Boulonnais, ambassadeur de Louis XII en Angleterre, et par Marguerite Blondel, sa femme. Deux générations plus tard, le petit-neveu du seigneur de Douriez est le cardinal Antoine de Créquy (1531-1574), évêque d’Amiens depuis 1564, abbé de Moreuil et conseiller de Charles IX. La nomination des chanoines de la collégiale de Douriez relève de ses attribuations et comme les Bennezon sont ses agents à Moreuil, l’un d'eux, prêtre de son état, bénéficie de sa protection et intègre la communauté canoniale vers 1558.

 

  Un contemporain a décrit l’église et le cloître de Douriez en 1518 :

   « Pour embellir la fondation qu’ils firent, les sieurs de Créquy ont fait édifier un temple à Dieu, d’une très-belle structure et selon le beau dessin qu’ils avaient rapporté d’Angleterre, ayant fait un chœur de douze piliers qui servoient de châssis à douze grandes vitres dépeintes de belles figures ; et aux douze, entre deux des vitres, douze niches où estoient placées les figures des douze apôtres en bois doré. La voûte estoit en cul-de-lampe et garnie de plusieurs enroullements de cordons de saint François taillés sur la pierre, représentant la dévotion que François de Créqui avoit à son patron. La table d’autel estoit composée de belles figures de la passion de Nostre Seigneur ; au milieu estoit l’arbre de la croix qui portoit pour fruit de la vie éternelle le saint sacrement suspendu. Au côté de l’épître estoit la chapelle du seigneur fondateur, du titre de St-François ; à côté de l’Évangile son sépulchre avec une petite voûte comme celle du chœur, avec son tombeau et celui de son épouse, tous deux en bosse sur un grand marbre noir. Au milieu un trône contenant l’image de Notre-Dame de Boulogne. Aux deux côtés du trône, trente-deux quartiers d’armoiries des alliances tant de sa part que de son épouse avec sa devise : « Quand sera-ce ? Quand Dieu voudra ». Au frontispice, les noms de Créqui, enrichis des ordres de la Toison d’or et de la chevalerie du Saint-Esprit, avec une description de la terre de Créqui abondante eu tous biens, par les figures des visiteurs de la terre promise, chargés de grappes de raisin qu’ils portaient avec un chainon et tenant chacun un bout sur l’épaule. Au-dessus de ce sépulchre, à la troisième pierre de taille, un peu enfoncé, à l’appui qui divise le sanctuaire d’avec les formes [stalles] des chanoines, est une cave où sont les ossements desdits fondateurs et de plusieurs de leurs parents, entr’autres de puissant seigneur et vénérable personne messire Charles de Créqui, protonotaire, bienfaiteur du chapitre par les biens du pays de Vimeu. Au-dessous dudit appui, entre le sanctuaire et les formes, du côté de l’épître, est la sacristie sur laquelle estoit la chapelle de sainte Marguerite, patrone de Madame la fondatrice ; où elle se plaçoit pour entendre la messe par les écoutes, comme une religieuse, affin de ne point entrer ni emblayer au chœur. Au côté de l’épître, l’épitaphe de deffunt seigneur et vénérable homme, messire Charles de Créqui, protonotaire. Au-dessous, aux deux côtés, estoient les formes des chanoines, hautes et basses, finissant par haut de dôme et chapiteaux, sculpture de menuiserie, ornés de feuillages et de plusieurs figures. Au milieu des formes, un beau lutrin de sculpture, semé de fleurs de lys, avec des beaux placets pour choristes. A la fin du chœur, une balustrade de menuiserie qui en fermoit l’entrée. Au-dessous du chœur un petit dôme de voûte soutenu par quatre piliers ayant à ses deux côtés deux chapelles avec voûtes en écailles. Du dôme s’étendoit la nef impérialement relevée au-dessus des deux cavolles jointes à ses côtés, de deux chapelles compagnes du dôme. Sur ce dôme estoit une tour de pierre finissant en galerie, qui portoit une flèche, de bois, moitié couverte de plomb, moitié d’ardoises et à la fin du plomb, une galerie de plomb ou d’autre métal.

 

   Le cloître des chanoines estoit au-dessus de l’église, en longueur ; chacun ayant son appartement : en bas une salle et une cuisine et un garde-manger ; en haut, une grande chambre avec chambrette sur la cuisine pour les hôtes et cabinet à livre sur le garde-manger. Des greniers sur le tout. Chacun sa cave ; chacun son puits, sa cour et jardin ; le tout fait de briques et couvert de tuiles ; les sept maisons de suite, avec leur porte-cochère et la route pour leur entrée ».

 

   Le chanoine Bennezon est connu par une unique mention : en septembre 1574, il a donné à son neveu Fremin Dufour (vers 1530, + 1603), notaire royal à Moreuil depuis 1564, une rente sur une masure sise rue de Castel, à Moreuil, et dont le locataire s’appelait Loys Baudelocque (Archives de la Somme, étude Choquet, 3E22963).

 

   A l'époque, sous la régence de Catherine de Médicis, la confrontation entre catholiques et réformés bat son plein. Antoine de Créquy commande l’expulsion des ministres et des maîtres d’école réformés dans l’étendue du diocèse d'Amiens. En 1562, le chanoine Nicolas Griveau, doyen du chapitre de Notre-Dame d’Amiens, a dressé une longue liste des suspects d’hérésie. Mal lui en a pris. Au mois de mai 1563, « près le bourg de Moreul », il croise la route de Louis de Boufflers, seigneur réformé de Rouvrel, « lequel auroit grandement battu, exceddé ledict Griveau, mesme faict marché son cheval par-dessus lui de sorte que ledict Griveau en est demeuré affolé [blessé] de l’ung de ses brachs… ». Le 12 février 1577, la noblesse picarde réunie à Péronne forme la « ligue pour la deffense de la saincte Eglise catholique, appostolique et romaine ».

 

   Amiens, Doullens, Roye, Montdidier et Moreuil suivent le parti ultra-catholique d’Henri de Guise, dont la balafre fait la popularité. Les cités picardes s’opposent à Henri III et à Henri de Navarre, son encombrant allié protestant. Les chanoines de Douriez ont très probablement appartenu aux rangs guisards. Quelques années auparavant, à la saint Jean 1569 puis en août suivant, le bourg de Douriez a été dévasté, d’abord par les huguenots, puis par les troupes du comte de Roeux, leurs ennemis, qui n’ont rien laissé ; un témoignage de 1571 l’atteste :

   « [à Douriez], grand passage tant d’aller que de venir de ceux de France qui sont pour aller à la ville de Calais et lieux circonvoisins, qui est la causse que lesdicts manants n’ont aucun bestiaux ny meubles pour pouvoir faire leur profit ».

 

   Réalisé en 1569 pour le roi Philippe II d’Espagne, le rôle d’imposition des paroisses de l’Artois (Archives du Pas-de-Calais, 2C1569) révèle l’identité de 112 personnes imposées pour leurs terres à Douriez, parmi lesquels trois ecclésiastiques, sans doute des chanoines de la collégiale (sire Adrien Barre, sire François Prévost, sire Siméon Scellier), l’hôtelier et cabaretier Flourent Penet, le lieutenant de seigneurie Jean de Caullers, le sergent Caboche et le laboureur Pierre Baudenaille. A la même époque, plusieurs villageois de Douriez portaient des noms connus à Moreuil (Baudenaille, Bennezon, Caboche, Leroy, de Fontaines, Leclercq, Prévost, Scellier). Par conséquent, en dépit du passage de la frontière entre les Pays-Bas espagnols et le royaume de France, d'intenses relations existaient entre ces deux seigneuries picarde et artésienne de la noble famille de Créquy.

 

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© Hervé Bennezon