Zéphir-Zacharie Seigneurgens est né à Caix, dans la Somme, le 14 floréal an XII (4 mars 1804), fils de Zacharie Seigneurgens (1772-1830), faiseur de bas, et d’Honorine Allart (1776-18..). L’année précédente, Honorine avait déjà mis au monde un petit garçon prénommé Jean-Nicolas, mais celui-ci est mort au bout de quatre jours, le 31 mai 1803. Ont suivi deux autres garçons : Cyprien-Casimir en 1806, puis Joseph-Barthélemy en 1808, mais la mort de ce dernier, à dix-huit mois, confirme les lois démographiques du temps : il fallait deux enfants pour faire un adulte. Dix ans plus tard est toutefois née une petite Philippine.
Très tôt, Zéphir-Zacharie (en réalité, Zacharie, comme son père), apprend le métier de badestamier exercé dans le Santerre par des milliers d’ouvriers, les « faiseurs de bas d’étame » (de laine). Comme la plupart des badestamiers, les Seigneurgens vivent chichement. Sous l’Empire, les débouchés commerciaux du textile pâtissent des guerres incessantes ; le travail manque cruellement.
Sous la Restauration, malgré un essor réel de la bonneterie, le père décide de chercher fortune sous d’autres cieux. De nombreux ruraux estiment, peut-être à tort, que la capitale du royaume est un véritable Eldorado. Dès lors, les Seigneurgens rejoignent les rangs des dizaines de milliers de provinciaux qui grossissent chaque année les flux de l’exode rural. Zacharie Seigneurgens père trouve la mort à Paris le 22 mars 1830, à 58 ans.
Incarcéré dans les geôles de la prison de La Force
Cette année-là, fort de ses relations parmi les travailleurs du textile, Zacharie Seigneurgens fils fonde et préside la Société des Bonnetiers de Paris, dite Bourse auxiliaire, dont l’objectif est l’émancipation ouvrière. La société est autorisée par la police le 4 juin 1832. A cette époque, il vit dans le Marais, place du Marché Sainte-Catherine. Adhérant de la Société des Droits de l’Homme, le 8 décembre 1833, il se trouve à une réunion de la Commission de propagande chez Napoléon Lebon (né en 1807 à Dieppe, théoricien communiste), 27, rue Saint-Jean-de Beauvais, lorsque la police fait irruption et arrête tous les participants, accusés d’avoir préparé les grèves de l’automne 1833.
Le 10 décembre suivant, il est incarcéré dans les geôles de la prison de La Force, avant d’être ensuite enfermé à Sainte-Pélagie le 20 janvier 1834. Son procès a lieu du 26 au 28 avril 1834 et Seigneurgens, acquitté, recouvre la liberté. Pendant son séjour en prison, il a eu trente ans, et la période coïncide avec les journées insurrectionnelles d’avril, durement réprimées. A sa sortie de prison, il trouve les ouvriers bonnetiers en train de dissoudre leur société, sans doute contraints par la nouvelle loi sur les associations votée le 26 mars 1834.
L’année suivante, Zacharie Seigneurgens publie une Lettre sur la formation de la Société des ouvriers bonnetiers de Paris, dite Bourse auxiliaire (Paris, imprimerie de Moessard, 16 pages). En mai 1834, il contribue pour un franc à une souscription en faveur des détenus politiques.
Membres de la Société des Familles, organisation secrète fondée par Auguste Blanqui (1805-1881), actif révolutionnaire du temps, les frères Zacharie et Casimir Seigneurgens sont arrêtés, écroués le 29 avril 1836 à La Force et inculpés d’association illicite ; avant d’être libérés le 25 juin suivant sur ordre du procureur.
En septembre 1838, Zacharie Seigneurgens se cache car il est soupçonné d’avoir participé à la publication d’un numéro du Moniteur Républicain, dans lequel le régicide et la « dictature révolutionnaire transitoire » sont envisagés pour obtenir un changement de régime. Tandis que la plupart des membres du groupe qui collaboraient à cette presse clandestine sont condamnés et enfermés au Mont-Saint-Michel, la police met trois ans à appréhender Zacharie Seigneurgens.
Son procès aux Assises de la Seine s’ouvre en 1841. Il se défend seul, rappelle « ses six préventions en dix ans », se proclame communiste et explique ses principes aux jurés, invoquant Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) et son Discours sur l’origine de l’inégalité parmi les hommes, ainsi que Gracchus Babeuf (1760-1797), révolutionnaire picard guillotiné après l’échec de la Conspiration des Egaux.
A ce propos, il serait intéressant de déterminer dans quelle mesure les combats menés par Babeuf entre 1789 et 1793 contre la noblesse de la Somme ont pu influencer l’opinion publique rurale. Gracchus Babeuf – ce pseudonyme l’affiliait aux frères Tiberius Sempronius Gracchus (vers 168-133) et Caius Sempronius Gracchus (154-121), tribuns de la plèbe assassinés pour avoir prôné le partage des terres sous la République romaine – avait su s’entourer de toute une série de personnages hauts en couleur, parmi lesquels Gabriel Leroux (1735-1809) et son cousin Amand Leroux (1754-1811), respectivement juges de paix des cantons de Montdidier et d’Hangest-en-Santerre, et de plusieurs membres des comités de surveillance des environs. La Vie en Picardie au XVIIIe siècle, du café dans les campagnes, publié aux Editions Les Indes savantes en 2012, réédité en 2021, fait le point sur le réseau des sans-culottes entretenu dans la Somme par Babeuf.
Zacharie Seigneurgens a su convaincre les juges de son innocence dans l’affaire du Moniteur républicain, car il a été acquitté après avoir expliqué que s’il était communiste, le Moniteur ne l’était pas. Il va dès lors profiter de quelques années de liberté. Le 16 mars 1843, Casimir et Zacharie déposent un brevet d’invention sur les procédés propres à la fabrication d’un nouveau genre de tissu. Ils sont alors domiciliés 110bis rue Saint-Antoine, dans le Marais. En 1845, Zacharie Seigneurgens se rend à Caix avec sa mère afin d’assister au mariage de son frère avec Flore Mantel, veuve d’un docteur en médecine. Sur le registre d’Etat civil, le paraphe ferme et parfaitement calligraphié de Zacharie atteste son niveau de culture.
En février 1848, les Parisiens chassent le roi Louis-Philippe ; la République est proclamée. Les questions sociales demeurent dans toute leur acuité et voici Zacharie Seigneurgens impliqué dans « les journées de juin » 1848 à Paris. Dirigée par le général Eugène Cavaignac (1802-1857), ministre de la Guerre, la répression de l’insurrection ouvrière a pour objectif le démantèlement des barricades érigées dans les rues de la capitale. A la tête des troupes de ligne, des légions de la garde nationale fidèles au gouvernement et de la garde mobile, Cavaignac est maître de la situation au soir du 26 juin avec la prise des dernières barricades du faubourg Saint-Antoine. Plusieurs milliers d’insurgés ont été tués au combat ou exécutés sommairement. Installé de nouveau dans le Marais après son mariage, Casimir Seigneurgens se fait arrêter par la police à la place de son frère aîné. Zacharie demeurait alors 45 rue du Roi-de-Sicile, non loin de son frère, et il a profité de la bévue des soldats pour s’enfuir. Des mois plus tard, le 24 mars 1849, le Conseil de Guerre reconnaîtra la méprise. Selon Froussard, représentant du peuple, Casimir Seigneurgens « est un homme tout-à-fait inoffensif et un très honnête père de famille. Il a eu le malheur d’être confondu avec son frère, qui est en fuite et qui paraît être compromis dans les déplorables événements de juin ».
Les juges libèrent aussi Norbert Seigneurgens, un cousin fabricant de bas, et Julien Fixois (1798-1863), journalier lui aussi originaire de Caix. Cependant, Zacharie est condamné par contumace à vingt ans de bagne.
Après une cavale de trois ans, il se fait prendre et rejoint la longue liste des inculpés pour leur participation aux barricades de juin 1848, plus de onze mille personnes. Réuni le 19 avril 1851, un nouveau Conseil de Guerre condamne finalement Zacharie Seigneurgens à dix ans de détention et il est incarcéré le 28 septembre suivant à Belle-Ile-en-Mer, dans le Morbihan, où il rejoint Auguste Blanqui, son mentor, et des centaines d’autres condamnés. Là, ils apprennent le succès du coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, puis son accession au trône impérial sous le nom de Napoléon III un an après, jour pour jour. Le 1er décembre 1857, au bout de six ans de détention à Belle-Ile, Zacharie Seigneurgens est transféré sous bonne garde au bagne de Corte, en Haute-Corse.
Si l’itinéraire d’Auguste Blanqui, « l’Enfermé », est bien connu – trente-trois ans de prison n’ont jamais réussi à briser sa volonté de détruire le système libéral – celui de Zacharie Seigneurgens demeure plus mystérieux. Il a pu être élargi à la faveur de l’amnistie de 1859, mais les archives ne conservent pas trace de son dossier, pas plus qu’elles ne signalent de nouveaux agissements de sa part. En tout état de cause, sa vie tumultueuse a pris fin dans le 10e arrondissement de Paris, à l’âge de 58 ans, comme son père et homonyme. Mercredi 22 octobre 1862, son corps a été inhumé avec dix cadavres au cimetière de Montmartre dans une « tranchée gratuite », c’est-à-dire à la fosse commune.
Les sources policières citées ici proviennent de deux notices biographiques mises en ligne par les administrateurs du Maitron dans le Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier : https://maitron.fr/spip.php?article37755, notice SEIGNEURGENS Zéphir, Zacharie par Notice revue et complétée par Michael Sibalis, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 18 avril 2016 ; https://maitron.fr/spip.php?article37754, notice SEIGNEURGENS Cyprien, Casimir par M. Sibalis, version mise en ligne le 20 février 2009.